les liens de l'esprit - chapitre 4

Publié le par shadeikin

 E Lliane Keltys

Lliane Keltys dans sa traditionnelle robe noire.

Chapitre 4 : Drague

 

Le soleil déclinait à l’ouest de l’île de Gwendalavir. La plupart des élèves de l’école quittaient les salles de cours pour aller travailler dans la bibliothèque, leur dortoir ou sortaient s’entraîner ou se balader à l’extérieur. Rémi, lui aussi, terminait sa journée en tant qu’élève et se dirigeait vers la ville et son apothicaire, avec lequel il allait travailler pendant une partie de la soirée.

Il entra dans l’établissement à l’ambiance boisée, avec de multiples étagères en hêtre brut, éclairées par une lumière tamisée. Un grand aigle à plumes noires et à tête blanche veillait sur l’échoppe et apportait parfois des fioles de remède à son maître. Quelques personnes achetèrent des remèdes pour des problèmes bénins, notamment une jeune fille aux longs cheveux bleus et aux yeux rouges se trouvait là, devant le comptoir. Elle portait un jean noir serré et taille basse, surmonté d’un haut sans manche, noir, laissant voir son nombril et ayant un large décolleté malgré le fait qu’il enserrait étroitement son cou. Elle portait de petites cornes sur la tête. Elle le salua.

 

_Rémus: Bonsoir Mitsuko. Je te présente Rémi, il va rester quelques temps avec moi. Il va donc aider un peu au magasin.

_Mitsuko : Ok… Bienvenue alors, moi c’est Mitsuko Kinnada, je suis mi-démone, mi-ange. Et toi ?

_Rémi : Je suis un simple humain. Enchanté. Je vais rester ici un mois apparemment.

_Mitsuko : Un humain ?! C’est rare ici. Enfin bon, je dois y aller, à une prochaine fois.

 

             Elle attrapa la petite veste rouge sombre qu’elle avait posée sur le comptoir en arrivant et la jeta sur son épaule puis sortit en jetant un regard en biais à un des clients, qui était accoudé au comptoir juste à côté de là où elle se tenait. Celui-ci rangea alors le journal qu’il lisait et suivit la jeune fille. Rémus entraîna Rémi dans un vestiaire en souriant.

 

_Rémus : Il semblerait que Mitsuko se soit trouvé une nouvelle proie… Mais bon ! Je vais te passer un tablier pour le service. Alors… Tiens, prends aussi ces vêtements, j’en ai toujours de rechange et tu n’as qu’une tenue de ville pour l’instant, celle-ci sera pour le magasin. Un pantalon noir léger… Une chemise blanche… Et des chaussettes et une paire de chaussures de ville noire. Voilà, je te laisse te changer, je vais m’occuper de la caisse.

_Rémi : Dis, ton aigle… C’est Roy, n’est-ce pas ?

_Rémus : Mais comment !? Ah oui, suis-je bête… C’est vrai que tu en sais long sur moi. Tu peux lui parler comme à une personne normale, ce n’est pas un aigle ordinaire.

_Rémi : Oui, je sais…

_Rémus : Il veille sur la boutique, mais sort parfois se dégourdir les ailes. N’hésite pas à lui demander si tu veux attraper quelque chose en hauteur, il m’aide bien.

 

             Rémus fit quelques retouches magiques aux vêtements de Rémi pour qu’ils soient vraiment faits sur mesures. Ils revinrent ensuite dans le magasin et Rémi s’installa derrière le comptoir. Rémus devait faire l’inventaire, il expliqua donc à Rémi les éléments nécessaires pour qu’il puisse servir d’éventuels clients après l’avoir présenté comme il convient à son aigle. L’animal vint se poser sur le comptoir pour saluer le nouveau venu, qui se garda de lui caresser la tête comme il aurait fait avec un chien.

 

_Rémus : En pratique, ça ne devrait pas être trop bondé, donc tu n’auras pas beaucoup de travail, et j’ai fait en sorte de me faciliter la vie et celle de mes éventuelles nouvelles recrues sans expérience. Donc, chaque médicament est rangé dans une catégorie, elles sont indiquées sur les écriteaux au-dessus et au bord des étagères. Si quelqu’un n’a pas d’ordonnance ou veut un conseil, viens me chercher.

_Rémi : J’espère que je vais m’en sortir !

_Rémus : Quand j’ai débuté, ça m’a pas mal aidé à gagner du temps et quand j’ai un nouveau qui vient m’aider, je prends moins de temps pour le former.

_Rémi : Et le fonctionnement de la caisse?

_Rémus : Ah oui, les produits les plus courants ont leur touche, regarde. Pour les autres, tous les prix sont étiquetés, tu le tapes simplement et tu ventiles dans la bonne catégorie.

_Rémi : Ventile ?

_Rémus : Ça veut juste dire qu’il faut utiliser la bonne touche de catégorie pour valider le prix de la caisse.

 

             Rémus montra à Rémi les ventilations possibles et les récapitula sur une fiche avant d’aller dans l’arrière-boutique pour commencer son inventaire.

Rémi s’appliquait à repérer les différents produits et lisait quelques étiquettes pour en connaître les effets quand un nouveau client fit son entrée. Enfin, UNE nouvelle cliente qui exhibait ses formes généreuses sous un haut de cuir noir très décolleté avec de longues manches qui ne couvraient pas les épaules et une jupe courte assortie et fendue sur la jambe droite jusqu’à la hanche. Elle repoussa ses longs cheveux noirs et fins derrière ses épaules, montrant ses yeux rouges. Rémi la salua comme il se doit.

 

_Rémi : Bienvenue.

_Cliente : Tiens donc… Vous êtes nouveau ? Rémus n’est pas là ?

_Rémi : Il fait l’inventaire. Il m’accueille à l’école pendant quelques temps, alors je me rends utile pour lui rendre la pareille.

_Cliente : C’est gentil de votre part… Certains squatteraient honteusement sans se demander s’ils peuvent donner un coup de main pour quoi que ce soit…

_Rémi : Ce n’est pas mon genre. De quoi avez-vous besoin ?

_Cliente : Et bien… Un anti-douleur… J’ai facilement mal à la tête en ce moment.

 

             Rémi demanda à sa cliente de l’accompagner devant les étagères qui regroupaient les différents anti-douleur, tous préparés par Rémus avec des plantes, des griffes, des écailles et autres morceaux de créatures magiques qu’il se procurait sur l’île ou commandait de plus loin pour les remèdes plus compliqués.

Après avoir réglé, la jeune femme prit le sac en papier que Rémi lui tendait en prenant soin de caresser négligemment sa main.

 

_Rémi : Et merde, je suis tombé sur une nympho… Est-ce le perso de quelqu’un ? Elle ne me dit rien…

_Cliente : Dîtes-moi… Vous faites quoi sinon ? Vous deviez avoir une profession là d’où vous veniez…

_Rémi : Je suis intérimaire. En ce moment, je travaille comme électricien dans les mobil home sur une chaîne de construction.

_Cliente : Vous pourvoyez donc au confort moderne des gens. Vous êtes intérimaire, donc qu’avez-vous fait d’autre ?

_Rémi : Et bien, j’ai travaillé au SAV pour la même entreprise avant, alors je faisais pas mal de déplacements.

_Cliente : Pour des réparations ?

_Rémi : Oui, en électricité ou en menuiserie.

_Cliente : Et sinon, côté social et cœur, ça se passe bien ?

_Rémi : Je n’ai pas à me plaindre. J’ai un entourage assez fourni et une copine que j’attends impatiemment de pouvoir voir plus.

_Cliente : C’est bien… Et sinon, vous où dormez-vous ?

_Rémi : Je partage une autre chambre avec deux amis.

_Cliente : Moi j’ai une chambre dans le cimetière avec mon maître. N’hésitez pas à venir nous rendre visite, ce n’est pas aussi glauque qu’on peut le supposer.

_Rémi : Son maître…

 

             À ce moment-là, Rémus revint de l’arrière-boutique avec sa liste d’inventaire à la main. Quand il vit qui était accoudé au comptoir en train de draguer ouvertement Rémi, il avança à pas pressés vers lui et salua brièvement la cliente avant de prendre Rémi à part soi-disant  pour lui parler de l’inventaire.

 

_Rémus : Fais gaffe de ne pas te laisser embarquer.

_Rémi : C’est bon, je l’ai vue venir.

_Rémus : Mais là, ce n’est pas n’importe quel mec. Il est tenace et je dois le surveiller à chaque fois qu’il vient ici pour choper une nouvelle proie…

_Rémi : Attends… Comment ça un mec ?

_Rémus : Il peut prendre aussi bien l’apparence d’un mec que d’une fille mais je crois qu’en réalité, sa vraie forme se rapproche de celle d’un gros chien. Il s’appelle Sagis, il est le serviteur de Sword, le professeur de combat et gardien du cimetière avec Dark.

_Rémi : C’est Sagis ça !? Merde… Effectivement… Je me disais aussi… J’ai commencé à avoir de sacrés doutes quand elle, enfin il m’a parlé du cimetière et de son maître.

_Rémus : J’ai fini d’inventorier la réserve. Peux-tu finir en comptant ce qu’il y a ici ? Il suffit de remplir cette colonne. Je vais aller au service pour garder un œil sur lui.

_Rémi : Pas de problème.

 

             Rémus retourna donc seul au service et se mit taper distraitement sur sa caisse. Le ton mielleux et le regard doucereux de Sagis disparurent quand il s’adressa à Rémus.

 

_Sagis : Il faut croire que tu aimes vraiment ça… Me mettre des bâtons dans les roues… Laisse-moi donc faire. Les gens auxquels je m’adresse sont majeurs et responsables, ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec qui ils veulent. Libre à eux d’accepter ou de refuser mes avances. Tu n’es pas leur nounou.

_Rémus : Il est de ma responsabilité que ce magasin ne devienne pas un bordel. En plus, tu n’es pas une prostituée ou un gigolo ordinaire. Tes victimes ne savent pas dans quel enfer elles s’embarquent avec toi.

_Sagis : Qu’est-ce que tu en sais ? Je ne t’ai jamais rien fait à toi !

_Rémus : Tu cries toi-même sur tous les toits que tu es le prince des violeurs. Et j’ai entendu parler de ce que tu as fait subir à un jeune élève dans une des salles de bain de l’école.

_Sagis : Mouais… Dis plutôt que ça te fout les nerfs que je sois sorti avec ta chère Lliane adorée l’an dernier… Ta petite Sanne l’aime bien si je ne m’abuse. Très douée d’ailleurs cette belle elfe-démone… Elle a un grand potentiel au lit…

 

             L’atmosphère devint pesante, l’aura de Rémus emplit la pièce et Sagis reçut plusieurs petites décharges d’énergie. Rémus semblait pourtant calme, bien qu’une pointe d’agacement perça dans sa voix.

 

_Rémus : Tu devrais aller lécher les bottes de ton maître avant qu’il ne te ramène dans ta niche par la peau des fesses…

 

             Sagis se redressa en ricanant. Il se dirigea vers la sortie puis se retourna avant de sortir pour s’adresser une dernière fois à Rémus.

 

_Sagis : Je n’aime pas trop qu’on se mette en travers de mon chemin… Il me plaît bien ton petit protégé, il a l’air très gentil… Fais attention qu’une petite fringale ne me vienne pas…

 

             Sagis sortit et Rémus contint à nouveau ses pouvoirs. L’atmosphère de l’échoppe retrouva son côté zen.

             Shad regarda à son tour le soleil couchant quand elle sortit du croissant de la lune blanche en compagnie de Gally. Une horloge indiquait dix-neuf  heures. Lliane attendait là pour aller dîner avec Shad. Après une brève discussion avec Gally, visiblement contente de l’aide apportée par Shad à la boutique, elles s’en allèrent de leur côté.

 

_Lliane : Alors cette première journée ?

_Shad : J’ai l’habitude de tenir un magasin. Il y a de quoi faire, mais je suis loin du surmenage.

_Lliane : Veux-tu manger à la cantine ou au restaurant ?

_Shad : Je ne sais pas… Comme je me fais entretenir, je ne vais pas avoir des goûts de luxe. C’est comme tu veux.

_Kira : Je me ferais un plaisir de vous inviter…

 

             Elles se retournèrent pour voir qui les avait interpellées  et se retrouvèrent face au psychologue de l’école, passablement débraillé et fumant une cigarette. Lliane fit alors un commentaire télépathique à Shad.

 

_Lliane : Il doit sortir de l’hôtel où il était avec sa conquête du jour…

 

             Kira s’approcha encore et réitéra sa proposition en précisant que la cuisine à « la plume noire » était excellente. Shad se recula légèrement et lui rétorqua qu’elle ne supportait pas la fumée. Kira éteignit alors sa cigarette et la jeta dans une poubelle prévue à cet effet avec un sourire.

 

_Kira : Lliane m’avait carrément teléporté hors de sa chambre quand je m’étais mis à fumer… Vous vous ressemblez sous certains angles. Alors, ce dîner ?

_Lliane : Si vous voulez vraiment nous inviter, je ne vois pas de raison de refuser…

_Kira : Je ne vous ai donc pas laissé un si mauvais souvenir…

 

             Lliane se contenta de sourire et ils se mirent tous trois en route vers le restaurant. Bien que Shad n’ait pu totalement réprimer une moue dégoûtée, elle se dit qu’elle n’avait rien à dire. Ils parcoururent les rues, dont l’animation baissait au rythme des fermetures d’échoppes, jusqu’à arriver sous l’enseigne de la plume noire. Ils entrèrent dans la salle qui commençait à se remplir de clients et de leurs conversations. Luna se précipita vers eux dans sa petite tenue de soubrette noire et blanche agrémentée d’un ruban orange sur sa queue de démon et un autre semblable dans ses longs cheveux bleus.

 

_Luna : Bonsoir ! Comment allez-vous professeur ? Monsieur Ochiba ?

_Lliane : Très bien Luna. Je te présente Shad. Elle est une amie de Rémi que je vous ai présenté pendant le cours.

_Luna : Ahhhhh ouiiii… Enchantée ! Notre île te plaît-elle ?

_Shad : Enchantée. Oui, c’est une très belle île, merci. Je vais rester un moment.

_Kira : Dis-moi ma belle, pourrais-tu nous trouver une table pour trois dans un coin tranquille ?

_Luna : Oui, bien sûr ! Suivez-moi !

 

             Ils suivirent la jeune fille à travers la salle dont la décoration la faisait ressembler à une grande grotte aux parois beiges parfaitement lisses, éclairée d’une lumière jaune orangée. Le grand espace central dégagé accueillait le comptoir, l’accès aux cuisines et les plus grandes tables tandis que le long des murs, de petites alcôves permettaient de placer des tables plus petites dans un espace plus intime avec des banquettes longeant le mur à la place des chaises.

Ils s’installèrent dans une alcôve dans un coin et commencèrent à consulter les menus que Luna leur avait laissés avant de repartir. Ils firent silencieusement leurs choix avant d’appeler Luna pour qu’elle prenne leurs commandes. Chacun choisit une entrée, un plat et un dessert et Kira commanda également du vin, mais ils demandèrent une carafe d’eau pour Shad qui n’aimait pas l’alcool.

 

_Lliane : J’aime bien le décor de ce restaurant, c’est très chaleureux.

_Shad : C’est vrai que c’est très agréable. Même s’il y a d’autres clients, on se sent tranquilles.

_Kira : Une jeune femme m’a un jour fait une petite gâterie ici même en profitant de cette intimité…

_Lliane : J’imagine que vous ne vous souvenez même plus de son nom, étant donné le nombre de vos conquêtes…

_Kira : Seriez-vous jalouse de ne pas avoir l’exclusivité ?

_Lliane : Comment pourrais-je vous regretter ? Vous êtes un gigolo dont la plus grande qualité est d’être gratuit. Les sentiments n’ont pas leur place avec vous.

_Kira : Si vous êtes consciente de ce fait, vous savez également que vous n’avez que quelques mètres à faire entre votre chambre et la mienne si vous vous ennuyez. Je vous accueillerais avec plaisir si je ne suis pas occupé.

_Lliane : Sans façon… Je ne supporterais pas l’odeur de tabac qui doit flotter dans votre antre.

 

             Ils furent interrompus par la venue d’un jeune serveur de taille moyenne aux cheveux mi-longs dont la noirceur contrastait avec la pâleur de sa peau et ses yeux verts parsemés de reflets dorés. Lliane salua le vampire dénommé Pandore qui déposa les assiettes qui contenaient leurs entrées et les boissons qu’il avait apportées sur un plateau. Il leur souhaita un bon appétit assez froid avant de repartir. Ils commencèrent à manger puis Kira s’adressa à Shad.

 

_Kira : Vous n’avez rien dit depuis un moment mademoiselle… Vous aurions-nous choquée ?

_Shad : J’ai un certain lien avec Lliane, donc si vous parliez bien tout à l’heure de votre venue dans la chambre de Lliane après une fête, je suis au courant. Et j’ai passé l’âge de m’offusquer pour un rien.

_Kira : Vous me parlez bien froidement ma chère… Si vous voulez, nous pourrions nous revoir plus tard pour que vous puissiez apprendre à me connaître, car il est vrai que les témoignages que vous venez d’entendre ne sont pas forcément flatteurs.

_Shad : Je pense que j’en sais déjà pas mal…

_Kira : J’ai coutume de dire que pour vraiment connaître quelqu’un, il faut avoir partagé une certaine intimité.

_Lliane : Je doute que vous connaissiez vraiment vos conquêtes. Je suppose que quand vous nous avez abordées, vous veniez de laisser quelqu’un seul à l’hôtel sans même un mot d’adieu.

_Kira : Je doute qu’elle ait attendu plus que ça vous savez.

_Lliane : Il paraît d’ailleurs que la directrice a eu vent de vos habitudes et a mis votre cabinet sous surveillance.

 

             Kira soupira et Shad sourit. Personne n’avait parlé de ça sur le forum. Elle éprouvait soudainement beaucoup de sympathie pour Osaya.

 

_Kira : Mademoiselle Yukime m’a effectivement à l’œil. Elle a jeté un sort sur mon cabinet afin de s’assurer que je ne fasse rien qui sorte du cadre de mon travail. Mais je suis un véritable professionnel. Je sais ne pas mélanger le travail et le plaisir. Il m’est même arrivé de refuser les avances d’une jeune fille qui était venue consulter.

_Shad : Etait-elle repoussante ?

_Kira : Non, très jolie au contraire. Et d’après ce qu’elle m’a dit, elle m’avait en vue depuis un bon moment. Mais mon cabinet n’est pas fait pour ça. Je lui préfère nettement le confort de ma chambre.

_Lliane : C’est amusant… Lorsque que vous êtes venu me voir dans ma chambre, vous m’avez rappelé Sagis, mais j’avoue que lui ne s’embarrasserait pas de tels scrupules. Vous êtes peut-être rattrapable. Mais ça demanderait un travail titanesque, j’en ai peur.

_Kira : N’hésitez pas à étudier mon cas en détail si vous voulez.

 

             Une nouvelle interruption leur apporta leur plat principal. Le menu leur avait offert un vaste choix, allant de la crêperie aux plats asiatiques en passant par des menus européens. Shad adorait les crêperies et avait choisi une galette savoyarde ; Lliane, elle, avait opté pour un assortiment de sushis et Kira avait préféré une viande de bœuf saignante accompagnée de sauce au poivre et de légumes. Kira et Lliane étaient tous deux des êtres raffinés dans le moindre de leurs gestes. Lliane avait pour elle la grâce d’une elfe et Kira était du genre à vouloir se la jouer grand seigneur pour mieux draguer. Shad se sentait de trop, comme une gamine qui n’était pas assez bien élevée. Kira leva les yeux vers elle et la fixa longuement.

 

_Kira : Quelque chose vous ennui ?

_Shad : Pardon… ?

_Kira : Vous avez des yeux très expressifs et vous me semblez troublée…

_Shad : Ah… Il faut dire que je suis tout sauf sociable et qu’en général, je n’aime pas franchement aller au restaurant. En plus, les mondanités me sont totalement inconnues, alors j’ai l’impression de faire un peu tâche…

_Lliane : Mais non, voyons, tu as autant ta place ici que nous. Et puis, ce n’est pas non plus un dîner cérémonieux, nous sommes entre nous, détends-toi.

_Kira : Elle a raison, vous êtes charmante… Si vous voulez, je peux vous montrer des techniques de relaxation si vous êtes tendue.

_Shad : Sans façon, merci…

 

             Le serveur vint reprendre leurs assiettes et Kira laissa les deux jeunes femmes discuter pendant qu’il allait aux toilettes.

 

_Shad : Il est carrément lourd, tu ne trouves pas ?

_Lliane : Oui, c’est vrai… Désolée de t’avoir imposé ça.
_Shad : Ressens-tu quelque chose pour lui ?

_Lliane : Moi ? Non… C’est vrai que je me suis égarée un soir avec lui, mais non. Je dois te paraître assez dévergondée…

_Shad : Tu fais bien ce que tu veux, je n’ai pas à te juger. De toute façon, ce n’est pas comme si tu devais être fidèle à quelqu’un.

_Lliane : C’est vrai que je n’ai plus à être fidèle envers quelqu’un…

_Shad : Désolée… J’aurais dû me taire, je crois…
_Lliane : Laisse, ce n’est pas grave.

 

             Lliane ne pouvait pas songer à son passé sans un pincement au cœur. Vaen, un humain avec qui elle avait partagé son enfance dans un village paisible, avait voyagé avec elle plus de cent-cinquante ans auparavant et était devenu pour elle bien plus qu’un ami. Mais alors qu’ils affrontaient un sorcier particulièrement puissant et tyrannique, Lliane ne put sauver Vaen et il mourut sous ses yeux. Depuis, elle s’était juré d’avoir la force de défendre ceux qu’elle aimait et s’était entraînée sans relâche pour obtenir de plus grands pouvoirs.

_Shad : Mais donc, si tu le trouves aussi lourd que moi, pourquoi avoir accepté son invitation ?
_Lliane : Tout simplement parce que j’aime bien ce restaurant et que j’avais envie de profiter d’un repas gratuit. Tu dois trouver que j’abuse, non ?

_Shad : Vu le lascar qui nous invite, pas franchement. Il n’avait qu’à pas nous inviter.

 

             Les jeunes femmes sourirent, mais se turent du fait du retour de Kira. Il profita du fait qu’il devait se rasseoir sur la banquette pour se rapprocher dangereusement de Shad.

 

_Kira : Vous deviez médire de moi pour faire de si beaux sourires vous deux…

 

             Il voulut prendre la main de Shad, mais celle-ci le repoussa sèchement.

 

_Shad : Vous êtes-vous lavé les mains au moins ?

_Kira : Vous êtes bien sévère… C’est bon, j’ai compris. Je ne vais pas passer mon temps à essayer de vous décoincer alors que je peux chercher ailleurs…

_Shad : Vous voyez que vous pouvez sortir des phrases intelligentes des fois… Je vais pouvoir respirer.

 

             Le dessert fut expédié bien plus vite que le reste du repas car il ne fut pas interrompu par les tentatives de Kira. Une fois qu’ils eurent terminé, Kira régla la note et ils sortirent de l’établissement, suivit par un « revenez quand vous le voulez » sonore de Luna. Kira repartit déambuler dans les rues après avoir galamment salué ses invitées qui repartirent vers le château. Il était vingt et une heure trente.

 

_Lliane : Veux-tu faire quelque chose ?

_Shad : Je n’en sais trop rien… Je n’ai aucune de mes affaires et je ne connais rien ici.
_Lliane : Je te propose de passer par ma chambre prendre quelques livres vu que tu vas devoir rester ici quelques temps.

 

             Arrivées au château, elles allèrent donc directement dans la chambre de Lliane. Mira, qui était restée dans son panier, accueillit joyeusement sa maîtresse. Shad et Lliane se mirent à choisir des livres, mais une question taraudait Shad.

 

_Shad : Dis… Ne donnes-tu pas à manger à Mira ?

_Lliane : J’ai envoûté sa gamelle pour qu’elle se remplisse à heures fixes. C’est pour ça qu’elle est restée là après mes cours. Aller, viens ma puce !

 

             Après ces derniers mots, Mira sauta sur l’épaule de Lliane en prenant appui sur la main qu’elle lui tendait. Les deux jeunes femmes sortirent de la chambre, où il n’y avait maintenant plus âme qui vive, pour se diriger vers celle de Shad, Rémi et Sébastien. La jeune fille n’eut pas besoin d’utiliser sa clé, car Sébastien et Seichiro s’y trouvaient déjà, penchés sur un grand chaudron au milieu de l’espace commun, un livre posé près d’eux sur une petite table suffisamment haute pour qu’ils puissent le lire et se servir des ingrédients qui y étaient posés sans se baisser. Les deux jeunes hommes levèrent la tête de leur travail et saluèrent les nouvelles venues quand elles entrèrent.

 

_Lliane : Alors, ça avance cette potion ?

_Seichiro : En principe c’est terminé. Je pense que j’en ai fait assez pour tout le mois. Mais ils ne devront pas l’oublier, ne serait-ce qu’une fois. Il faudrait repousser leur départ, car c’est un mois sans interruption sous peine de repartir à zéro.

_Shad : On a ramené de la lecture pour occuper nos soirées.

_Lliane : Je vais vous faire une petite bibliothèque.

 

             Lliane posa les livres qu’elle avait dans les bras à terre, et fit apparaître un petit meuble d’un mètre de large et trente centimètres de profondeur et à la même allure cristalline que le reste du mobilier. Elles purent alors y ranger leurs livres avant de rejoindre les hommes assis dans des fauteuils disposés en cercles autour du chaudron. Seichiro donna un verre rempli de la potion verdâtre qu’il avait préparée à Sébastien et Shad, qui la burent comme un médicament particulièrement mauvais.

 

_Seichiro : Peu importe le goût que ça a, vous devrez en prendre un verre tous les soirs à à peu près la même heure, mais si vous décalez de quelques heures, ce n’est pas grave. N’oubliez pas d’en donner à Rémi quand il reviendra.

_Lliane : Nous pourrions l’attendre en faisant une partie de cartes !

_Sébastien : Oui, pourquoi pas ! Restez-vous avec nous Seichiro ?

_Seichiro : Huumm…

_Lliane : Je ne peux pas vous donner de sang, mais j’ai toujours du vin si vous avez soif. Allez, restez avec nous. Nous nous contentons presque toujours de travailler et de nous entraîner, ça nous fera du bien une soirée entre amis.

_Seichiro : Entre amis… ?
_Shad : Oh, on ne se connaît peut-être pas assez pour se considérer comme des amis, mais on peut quand même passer une soirée sympa. Et si une associable comme moi le propose, c’est que c’est largement possible.

_Seichiro : Si vous voulez.

_Sébastien : Bon, on se fait quoi comme jeu ?

_Shad : Un rami, ça vous dit ? C’est anti prise de tête au moins.

 

             N’ayant pas rencontré d’opposition, le rami fut choisi pour animer leur soirée. Le chaudron fut repoussé vers un coin de la pièce avec la petite table haute supportant les verres à nouveau propres. La petite table de salon retrouva donc sa place au milieu des fauteuils. Pour l’occasion, elle fut agrandie pour éviter aux joueurs d’avoir à se baisser. Le rami étant un jeu qui ne demande pas forcément une attention permanente, les joueurs purent discuter. De nombreuses parties furent jouées, puis ils passèrent à une belote qui fut interrompue par l’arrivée de Rémus et Rémi dans la chambre. Ils saluèrent l’assemblée avant de venir s’asseoir à leur tour.

 

_Rémi: Alors, ça joue bien ? Votre journée s’est-elle bien passée ?
_Shad : Tranquille pour moi. Quelques clients, du rangement. Mais rien de trop fatigant.

_Sébastien : Pour moi, matinée recherche et après-midi cours et préparation de potion. D’ailleurs prends-en un verre. Un tous les soirs à partir de maintenant.

 

             Rémi eut droit à son tour à la potion verdâtre qu’il but avec une grimace. Seichiro prit alors congé, voulant se soustraire à tant de compagnie, bien qu’il leur assura qu’elle ne lui avait pas été désagréable. Il soupira un peu quand fut évoquée la présence de la bruyante et naïve Sanne dans sa chambre, mais il sourit en sortant, l’air de dire « elle n’est pas bien méchante ». Rémus et Lliane s’apprêtèrent eux aussi à regagner leur chambre quand une question importante fut soulevée.

 

_Rémus: A quelle heure nous retrouvons-nous demain ?

_Shad : Nous sommes censés commencer un entraînement, non ?

_Rémus : Qu’en pensez-vous Lliane ? Nous leur faisons faire des entraînements tous les deux ?

_Lliane : Le problème c’est que nous avons tous les deux des obligations. Je propose que nous allions tous les deux avec eux demain matin et après nous superviserons à tour de rôle. Ça vous va ?

_Rémi : Pas d’objection.

_Sébastien : Pas de problème.

_Shad : Ça me va.

_Rémus : Alors nous disons rendez-vous demain à sept heures dans la salle à manger pour le petit déjeuner ?

_Lliane : Oui, faisons comme ça ! Allons nous reposer, ça nous fera du bien.

_Sébastien : Bonne nuit alors.

_Rémi/Shad : Oyasumi !

_Rémus : Faites de beaux rêves, à demain.

_Lliane : Bonne nuit tout le monde.

 

             La porte se referma lentement sur les deux hôtes. Lliane retrouva sa chambre et Rémus descendit d’un étage pour retourner à la sienne tandis que les trois humains se changeaient, chacun dans son espace personnel. Après s’être dit une dernière fois bonne nuit, le soleil au plafond devint une terne naine blanche et les lampes de chevet de glace s’éteignirent pour laisser dormir leurs hôtes.

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